Compte-rendu de l'atelier "IA et révision" de la plénière Revue3.0 2025
Cet atelier a été animé par Alexia Schneider, Servanne Monjour, Nicolas Sauret et Clara Grometto.
Marcello Vitali-Rosati prend la parole pour introduire : "intelligence artificielle" est une appellation commerciale ; on remarque qu’il y a une corrélation entre les tâches prises en charge par l’IA et les champs et domaines pour lesquels on baisse radicalement la valeur symbolique.Le moment où une tache a assez perdu de valeur symbolique, où elle est laissée à des subalternes, alors là une machine peut le faire. Si une femme peut le faire, une machine peut le faire. Chez Jennifer S. Light, (When computer were women), robot est le nom d’une personne dont le travail est dévalorisé.
2 angles différents:
- La révision ; une question de définition par Alexia et Clara
- La structuration de la bibliographie par Servanne et Nicolas
La révision
Définition de la révision et petit historique technique
Deux éléments distincts :
Protocoles éditoriaux historicisables et définissables : l’édition est une fabrique (au sens d’A. Fauchié).
Pratiques de brouillonnage individuelles : étape du processus scripturaire (retouche, variante, regret…).
On ne peut pas parler de révision sans parler d’écriture. Écrire fonctionne par essai et erreur. L’écriture numérique induit des changements : le rapport à la trace se modifie (Derrida). On écrit plus vite, mais on peut aussi corriger plus rapidement.
L’enjeu de l’automatisation de la révision textuelle : il faut comprendre qu’il y a eu un changement de paradigme, dans le sillage d’un historique beaucoup plus ancien. Évolution des outils suit ou est suivie par l’évolution de l’écriture numérique : confusion entre révision et écriture.
L’histoire de la Grammar Error Correction en tant que tâche secondaire est parallèle à celle de la traduction automatique. La correction d’une phrase se fait à partir d’un gold standard (phrase incorrecte vs phrase corrigée idéale). Ces stratégies, basées sur des systèmes experts, ont du mal à refléter la diversité de la langue.
À partir des années 2000, prise en charge du sémantique.
Puis on passe ainsi d’un paradigme de correction ortho-typo à un processus de reformulation.
Aujourd’hui, on essaie même de masquer l’utilisation d’une IA dans la génération de texte = on rentre dans des contradictions.
Une question de système de valeurs
Traitements de texte :
Au départ, les outils ont été créés par des informaticiens pour des informaticiens, afin de documenter le code, puis ils ont été utilisés dans les entreprises. Le traitement de texte visait principalement la recherche de productivité, et l’utilisation des IAG s’inscrit dans la continuité de cette logique. Il existe une répartition hiérarchique et symbolique des tâches. On veut déléguer le travail de la secrétaire à la machine, ce qui entraîne des changements dans les pratiques, les usages et les outils. Au-delà de la question du sens et de la déprise du texte, il existe un risque d’homogénéisation de la langue, car la richesse de la langue ne réside pas dans le fait de dire la chose la plus probable.
Le domaine académique est particulièrement impacté, avec une volonté d’écriture normée et un enjeu économique important, lié au « publish or perish », à l’écriture en anglais et aux services payants de révision pour les auteurs non natifs. Une reformulation sémantique profonde commence à se généraliser par défaut, comme le montre l’exemple de Deepl et ses options. Cette évolution entraîne un effet nivelant et confère une autorité à la machine. La thèse de Schumacher (2023), illustre ce phénomène, et son étude montre que la délégation cognitive peut être une source d’erreur (il travaille pourtant avec des traducteurs expérimentés). Enfin, ces outils incarnent une vision du monde centrée sur la productivité et la rapidité.
Questions:
M. Sinatra : Avez-vous des études qui font la distinction sur pour quel type de production est-ce utilisé ? Un devoir à rendre ou faire corriger un article : ce ne sont pas les mêmes enjeux.
Tabou = il est difficile de faire parler les étudiants comme les chercheurs de leurs pratiques.
Pression : produire le plus, le mieux ; pression qu’on retrouve à tous les niveaux et âges académiques atteindre un certain niveau langagier
Servanne Monjour : En France, les étudiants rencontrent de gros problèmes de maîtrise du français, notamment des difficultés d’intelligibilité. Son UFR a choisi d’interdire complètement l’usage des IA aux étudiants. Constat : les travaux sur table présentent d’importants problèmes orthographiques et syntaxiques, alors que les mémoires et rendus à la maison sont de meilleure qualité. Dénonce un usage non assumé d’outils d’aide à l’écriture. Cette situation interpelle les enseignants sur leur rôle et leurs pratiques pédagogiques.
Nicolas Sauret revient sur l’idée de déprise empruntée à Louise Merzeau. Notamment elle parlait de "maîtrise de la déprise" pour désigner le fait d’être capable de détourner la plateforme, de hacker. Il constate qu’aujourd’hui cela nous échappe, on est dans la déprise totale, entraînant une forme de prolétarisation.
Encourager à mettre en place ses propres LLMs est-ce la solution ? Quand on voit déjà comme il a été dur de faire adopter des formats ouverts on est pessimiste.
Révision bibliographique
Les éditeur.ices ont été toujours cherché l’automatisation. Automatisation peut permettre certain confort / mais il y a toujours besoin d’un peu de travail à la main (le "dernier kilomètre" dans la revue Humanités numériques)
Elle insiste sur la tension entre visibilisation/invisibilisation du travail de révision.
Florence, éditrice de la revue Humanités Numériques : "je continue à utiliser Word parce que c’est la preuve que j’ai fait mon travail." Le principe du Track changes visibliise le travail des petites mains.
Mise en place d’une charte pour les expérimentations de la revue :
- conserver notre exigence éditoriale, relation avec les auteurs
- respecter les conditions de travail de notre éditrice
- enjeu écologique
- place du plaisir (!?) dans notre travail, ex. Servanne demande à ses étudiant·es de décortiquer leur protocole éditorial, et d’identifier ce qu’iels ont aimé/pas aimé. Elle relève que relire la bibliographie n’est pas la tâche la plus plaisante.
- LLM spécialisé - en local autant que possible
Est-ce que c’est vraiment utile ?
Le temps gagné est re(perdu dans le travail de vérification du travail du LLM. Si tout le monde utilisait Zotero correctement ça réglerait le problème.
Informatisation a œuvré à la forte standardisation de la donnée. On observe un changement de paradigme avec les IAG
Questions :
Marcello : accorder les participes passés a-t’il toujours de la valeur ? Qu’est ce que l’on veut faire ? Est-ce qu’on veut toujours produir de la richesse ? "à quel moment on évite de tomber dans le paradigme du vieux con ?" (à propos les étudiants qui écriraient de plus en plus mal, liraient de moins en moins etc.)
Lucia : historiquement le langage était un vecteur politique fort ("empowerement"), émancipateur. Important de garder notre capacité à écrire, à nous exprimer.
Servanne : Pratique de l’[arpentage](https://fr.wikipedia.org/wiki/Arpentage\\\_(éducation_populaire)) qui venait de l’éducation populaire réintroduit à l’université.
Grain de sel de Marcello sur l’originalité (pas une prérogative humaine, repose sur fausses prémisses) : «Je ne suis pas original. Quand on dit quelque chose d’original, c’est généralement faux et con.»