Pratiques de découvrabilité des revues
Le troisième axe du projet revue 3.0, « découvrir », s’attache à retracer et à comprendre la vie des contenus scientifiques après leur publication dans l’écosystème numérique. Si tout article a vocation à être lu, compris, et cité par d’autres chercheurs·euses, afin de participer à « l’avancement des connaissances » et, mieux encore, à la grande conversation scientifique, le potentiel heuristique des publications numériques n’est cependant pas toujours à la hauteur. En dépit des efforts constants réalisés par les institutions pour promouvoir la science ouverte et le libre accès, la découvrabilité des contenus scientifiques numériques demeure limitée, tout comme ses modalités d’appropriation – stratégies d’annotation, de citation, de conservation, de mise à jour, problématiques d’accessibilité, etc.
Dans une démarche de recherche-action avec les revues partenaires du projet Revue 3.0, nous entendons recenser les pratiques communicationnelles des revues partenaires, avec et pour elles, ainsi que celles des revues savantes dans leur histoire longue. Nous combinerons ainsi des actions d’entretiens et de recherches documentaires, en vue de restituer la diversité passée et présente des pratiques de découvrabilité des revues.
Problématique
Le néologisme de « découvrabilité » propre à la culture numérique désigne, selon l’OQLF, le « potentiel pour un contenu, disponible en ligne, d’être aisément découvert par des internautes dans le cyberespace, notamment par ceux qui ne cherchaient pas précisément le contenu en question ». De ce point de vue, la découvrabilité se distingue de la « trouvabilité » – le fait de trouver ce que l’on cherchait précisément. Cette distinction nous permet de saisir l’importance de la découvrabilité dans tout processus de recherche qui, bien qu’il soit guidé par des hypothèses ou même des intuitions, doit pouvoir bénéficier d’une certaine sérendipité. Mais puisque le système d’autorité propre à la communauté savante est fondé sur des principes d’indice de citation, principe que les infrastructures numériques de la recherche (mais pas seulement) ont tendance à amplifier (avec des logiques bibliométriques fortement critiquées par la communauté des chercheurs·euses), la recherche des contenus savants numériques obéit parfois davantage à un principe de trouvabilité que de découvrabilité.
Si la diffusion semble aller de soi (atteindre le plus de monde possible), nous questionnerons les a priori commerciaux qui tendent à structurer la réflexion sur les communications et appropriations des contenus savants. Comment, du point de vue des revues, faire en sorte que leurs contenus savants soient trouvées « par les bonnes personnes », et « pour les bonnes raisons » ? Plus précisément, nous essaierons de répondre à ces questions de recherche : comment font les revues pour s’assurer que leurs lecteur·ices les lisent ? Ont-elles une connaissance de qui constitue leur « public » et de comment celui-ci arrive aux contenus qu’elles proposent ? Cherchent-elles à encourager certains chemins, certaines catégories de public ?
Enjeux techniques
Afin d’assurer la visibilité, mais également la pérennité des revues numériques, les diffuseurs ont déployé des moyens importants pour créer des infrastructures de publication : ce sont les fameux CMS OJS ou Lodel, notamment. Ces infrastructures ont cependant conduit à une certaine plateformisation de la publication scientifique, imposant un format éditorial autant qu’une certaine forme de pensée. Dans ce contexte, il nous semble important d’étudier comment concilier l’enjeu de découvrabilité (qui impose une forte uniformisation des contenus et de leur structuration, afin de garantir leur visibilité numérique) et celui de bibliodiversité (favorisant des formats parfois très expérimentaux, et par conséquent difficiles à mettre en avant).
Actions de recherche
- Entretiens collectifs (focus groups) avec des membres des comités éditoriaux des revues partenaires
- Analyse des entretiens collectif et des questionnaires informatifs envoyés aux revues partenaires, de leurs traces en ligne (site web et réseaux sociaux) pour en tirer des cartographies « sensibles »
- Fouille de documents d’archives (via la 'waybackmachine' notamment) des revues hors-plateformes et évaluation de leur « découvrabilité ».
- Expérimentations des sociabilités numériques des chercheurs·euses sur le forum en ligne de Revue 3.0, au travers du logiciel Discourse
Livrables
- Cartographie sensible des pratiques de diffusion : il s’agira notamment d’être sensibles à l’hétérogénéité des pratiques, à leurs résonance avec les objectifs de chaque revue, à la co-existence de façons de diffuser et d’encourager la « découverte » qui peuvent être de nature et d’échelles très diverses (qui vont de l’envoi de courriels ciblés à l’inscription dans des plateformes de référencement, de l’organisation d’événements de lancement aux travail autour des méta-données…). En cherchant à expliciter ces différentes pratiques du “(se) faire découvrir”, on s’interrogera particulièrement sur ce qui résiste au numérique, ou aux projets de systématisation et de normalisation. La méthode de cartographie dite sensible peut pertinemment représenter cette variété des pratiques, tout en offrant une base de travail commune qui pourra également permettre de comparer les approches, de discuter de méthodologie, sans formaliser. Si la carte est une représentation – objectivante, certes, mais une représentation tout de même – du monde, alors l’approche “sensible” permet d’assumer un tournant épistémologique majeur : celui de la recherche “située”.
- Les sociabilités numériques des chercheurs·euses à l’heure de l’échec des grands réseaux : il s'agira notamment de questionner le potentiel conversationnel des outils numériques dans un web social en crise. La découvrabilité des contenus de revues savantes doit beaucoup à des espaces non-institutionnels comme les réseaux sociaux, lieu où s’est exercée avec force la conversation entre les chercheurs·euses. Twitter, en particulier, s’est révélé un outil essentiel de recommandation, mais également un espace de débat en marge d’événements scientifiques. Dans un contexte de pollution croissante des grands réseaux sociaux, dont X, ex-Twitter, est devenu le symbole, de nombreux chercheurs·euses ont déserté ces espaces de discussion. Les alternatives (Mastodon, BlueSky) sont à la peine, tandis que d’autres réseaux semblent tirer leur épingle du jeu, mais en jouant sur des registres très différents : c’est le cas par exemple de LinkedIn, réseau professionnel, qui attire de plus en plus d’institutions et de chercheurs·euses, avec un objectif davantage promotionnel que conversationnel. Le temps des grands réseaux sociaux et l’utopie du collectif qui s’y jouait semblent quelque peu révolus … au bénéfice de formes plus anciennes, pré-web social. C’est le cas, notamment, du forum, que nous entendons expérimenter avec les membres du projet Revue 3.0 au travers d’une instance du forum Discourse.